avoir 20 ans au Caire

Friday, April 21, 2006

marcel khalifé

marcel khalifé, chanteur libanais défenseur de la cause palestinienne est de passage au caire. je ne voulais manquer sous aucun prétexte sa première représentation à l'Opéra, hier soir.
j'arrive dimanche dernier au guichet pour réserver des places, on me dit qu'il est impossible d'acheter des tickets et qu'il faut venir le jour du concert, une ou deux heures avant le début. c'est étrange, mais je l'accepte, comme beaucoup d'autres choses ici.

déterminée à assister au concert, je passe à l'Opéra hier, dans l'après-midi. en entrant dans l'enceinte du jardin, j'entends déjà la voix de marcel khalifé qui s'élève sur les notes de "jawazu safar", la chanson que je préfère. au guichet, impossible d'acheter des places, c'est complet. je ne comprends pas. je leur explique. comment peut-on me dire quelques jours plus tôt que l'on ne peut acheter des places en avance, et comment 2 heures avant l'ouverture des guichets, le concert peut-il être complet? on m'envoie à un autre guichet qui ne peut rien faire mais qui m'envoie à un troisième guichet qui peut-être pourra m'aider. en vain. j'en pleure de déception, alors que marcel khalife répète. le concert est en plein air, et l' Opéra est entouré d'un vaste parc, je décide d'assister au concert assise sur les pelouses autour, comme les nombreux autres déçus de la soirée. une heure avant le début, nous arrivons pour choisir notre carré d'herbe, on ne peut pas rentrer. ce soir, il faut avoir des billets pour franchir l'entrée. je ne comprends toujours pas. l'Opéra est entouré de policiers, à l'entrée, sur les côtés, derrière, partout, je n'ai jamais vu ça. nous attendons devant l'entrée que quelque chose se passe. nous n'assistons qu'au passage des mercedes noires, vitres teintées, immatriculées corps diplomatique, conduites par chauffeur et portant les drapeaux d'états arabes différents. des personnes entrent sans que l'on contrôle s'ils ont des billets, d'autres attendent à l'extérieur que viennent les chercher des chanceux avec billets déjà à l'intérieur. puis je m'étonne de toutes ces personnes qui viennent de l'intérieur et passent des billets à ceux de l'extérieur. je suis devant la grille, et un homme de l'intérieur me tend un billet et me l'offre, me disant qu'il en a un si je le veux. je ne comprends toujours pas. j'accepte le billet, et me dit que je rencontrerai deux autres personnes que je connais à l'intérieur qui pourront me préter leur billet, juste pour faire rentrer mes deux amis. je franchis le barrage, j' avance, et je tombe sur le guichet, ouvert. il est possible d'acheter des billets. je ne comprends pas. j'achète deux billets et je remonte chercher mes deux amis à la grille, nous rentrons tous.
pour assister à ce concert, il faut soit posséder une mercedes et un chauffeur, soit connaitre quelqu'un en possession d'un billet, d'un billet introuvable. quel scandale. un concert privé en quelque sorte, réservé à un cercle fermé.
nous trouvons nos places, le concert n'a pas commencé.
marcel khalife de sa douce voix présente seulement ses musiciens. il porte une pashmina turquoise sur une chemise noire, le poivre et sel de sa barbe et de ses cheveux est éclatant. dès les premières notes, dès les premiers mots, l'assistance s'enflamme. les hommes et les femmes sourient, chantent, frappent dans leur mains, rient. parfois, certains se lèvent et chantent. parfois, ils sifflent, mais toujours ils applaudissent. la chaleur du public est incroyable et communicative. khalife chante sayyid darwish, l'amour pour une jeune fille, rita, le peuple palestinien, et le public vibre. les deux intenses heures du conert s'écoulent, il est temps pour khalife de retourner dans on monde si lointain et si inaccessible.

sans essayer de comprendre ce qui s' est passé au début, j'aime l'Egypte pour ce que je lui déteste. ici encore je déteste que la culture ne soit réservée qu' aux privilégiés, à un club fermé, mais j'aime attendre devant une grille infranchissable qu'un miracle arrive et qui finit par arriver.

Thursday, April 20, 2006

désert noir












désert blanc






oasis de Bahariyya






silence on prie

nous sommes à mohandessine, un quartier chic du Caire, chez Samia Allouba, le club de sport fréquenté par la haute société cairote. bien sûr, il faut parler anglais, bien sûr, il faut parler de ses vacances. dans le vestiaires entre deux cours de step, une élève me demande quel est ma future destination de vacances. je lui réponds Bahariyya, le désert blanc. elle s 'étonne, "comment?", et ne comprend pas pourquoi je n'ai pas choisi Charm el Cheikh, une station balnéaire sur la mer rouge, une réplique version plage des stations de ski-usines, le seul endroit d' egypte où les palmiers ont le culot d'être en plastique.
et puis, la jeune fille regarde l'heure. elle se cache dans sa cabine et a changé son ensemble Nike Women dernier cri pour une grande robe avec capuche. je devine alors que l'heure de la prière a sonné. dans le vestiaire du club de sport branché, cette fille prie. je pense alors à toutes les fois où j'ai été témoin de cette scène. à l'épicerie, au DEAC, au stade, à l'institut de beauté, sur le bateau au large d 'Ismailia, sur la route d 'Alexandrie, dans un magasin de lingerie, sur une aire de repos sur les routes vers l'oasis de siwa...j'en oublie surement. le temps que je pense, la fille a fini de prier, elle me tire par le bras, c'est l heure du cours, on va être en retard.

Friday, April 14, 2006

une étoile dans la nuit

les rencontres sont toujours des surprises que nous offre la vie. des surprises bonnes ou mauvaises. il faut parfois provoquer le destin ou parfois, il suffit de laisser la vie bien faire les choses.
s'il est une rencontre dont je garderais un souvenir chaud dans mon coeur cette année, indéniablement, il s'agit de celle avec Ahmad Fouad Negm.

il a commencé en donnant sa date de naissance, 1929, et à se définir, comme un fellah, un paysan, issu d 'une longue lignée de paysans. sec comme ces tiges de roseau que l'on voit en bordure du nil, ce vieil homme aux yeux coquins porte une histoire familiale marquée par le labeur et des conditions de vie difficiles. son accent, difficile, porte aussi cette origine paysanne.
puis il a enfilé les perles du fil de sa vie, ses poèmes. à chaque poème, une anecdote mettant en scène, parfois Oum Kalthoum, parfois Gamal Abd el Naser, parfois celle qu'il a aimé, parfois son beau pays parfois le gouvernement. entre deux cigarettes, et deux gorgées de café, le petit monsieur en galabiyya gesticule sur sa chaise, ferme et ouvre les yeux, il vit sa poésie tout comme sa vie a été vouée à cet art.
"tiens, pour ce poème, j'ai pris un an" nous dit-il, "et pour celui-ci, deux". 18 années passées en prison en 77 ans. 18 années payées contre une foi en la vie, la liberté et l'art, des valeurs qui ne sont pas acquises partout. grand compagnon de Cheikh Imam, Salah Jahine, Ahmad Fouad Negm est une figure de la littérature egyptienne contemporaine, une étoile dans le ciel sombre de la production littéraire arabe.
durant une heure, il a fait vibrer la salle des quelques professeurs et élèves. le caméraman a tellement ri que je doute de la qualité du film tant sa caméra bougeait. les appaludissements ont fusé et chacun s'est exclaffe, touché par ce vieux monsieur infatigable, et par le beauté de ce qu'il récite.
une femme pleure, touchée par la beauté et la simplicité des mots.

à 77 ans, le vieux monsieur vit la nuit, se couche à 4 heures, après la première prière de la journée, et se réveille au coucher de soleil. les jours où "Kefaya" manifeste, il manfieste dans les rues du Caire pour la démocratie.
à 77 ans le vieux monsieur aime les femmes, jeunes et moins jeunes.
à 77 ans, le vieux monsieur aime la vie.

Monday, April 03, 2006

un pays lointain

en traversant Midane el Tahrir ce midi, j'ai fermé les yeux au beau milieu de cette place qui grouille de fonctionnaires entrant et sortant de la Mougamma. j'ai pensé, à un pays, un pays lointain. un pays où je n'ai pas peur de traverser car j'attends que le bonhomme rouge passe au vert comme me le disait mamam. un pays où les ânes, on ne les voit que le week end à la campagne. un pays sans ces policiers en uniformes usés qui boivent du thé pendant qu'ils règlent la circulation. dans ce même pays les femmes ne sont pas voilées et les hommes sans zbib. je me rappelle aussi que mes journées étaient rythmées au son des cloches de l'Eglise, toutes les heures, et pas à l'appel cinq fois par jour. souvent, il y avait de la pluie dans ce pays. les cris des enfants qui s'amusent dans les parcs et jardins publics m'attendrissaient, alors que maintenant mes oreilles semblent ignorer les klaxons incessants. dans ce pays, les gens étaient stressés, se regardaient sans se regarder et s'impatientaient aux distributeurs de billets automatiques.
j'ai ouvert les yeux, tentant un semblant de retour à la réalité. où est la réalité, ici ou là-bas, dans ce pays, si lointain?
j'ai ouvert les yeux, ce pays je le retrouve dans moins de trois mois, pas si lointain. et j'ai pensé que bientot, cette réalité prendra la place du pays lointain et le pays lointain redeviendra réalité...